Au mois d’août dernier, je me suis rendu à Londres avec ma compagne (que je remercie pour le voyage, en passant). En grand amateur des Beatles, je n’ai pas pu m’empêcher de faire un tour par Abbey Road. J’y ai effectivement trouvé le légendaire studio où les « fab four » ont enregistré d’innombrables et splendides tubes intergalactiques (oui, j’aime vraiment beaucoup les Beatles). Quelle ne fut cependant ma surprise lorsque je tombai sur une armada de touristes en train de traverser le même passage piéton ad libitum afin d’immortaliser leur séjour à Londres de manière un peu plus fun, comme le font John, Paul, George et Ringo sur la pochette de leur album.

Pour mieux comprendre la situation, il convient de vous présenter l’envers du décor. Abbey Road est une route on ne peut plus british : des trottoirs jalonnés d’arbres tous les 26,25 pieds (8 mètres) qui bordent une route plane dans un quartier de petites maisons en briques rouges, constructions Lego identiques, étroitement agglutinées les unes aux autres. Une route qui semble mener nulle part, mais qui finit bien par révéler un pub à 1 ou 2 km. Bref, à prime abord, c’est une route britannique assez banale.

Seulement, les Beatles y ont passé le plus clair de leur temps à y produire des pépites de la pop, augmentant le potentiel touristique de la rue. Un beau jour, ils se sont dit : « eh! on n’a qu’a prendre la photo d’vant l’studio pour l’album! Pas besoin de s’embêter avec un photographe professionnel! »(1) À cet instant, les rockstars ne se rendaient probablement pas compte de l’impact de leur cliché sur le trafic routier d’Abbey Road.

En effet, à force de vouloir singer leurs idoles, les touristes qui traversent le plus célèbre passage piéton de l’histoire du rock forcent les voitures à ralentir, créant ainsi des embouteillages à répétition, exaspérant les pauvres pendulaires anglais qui, malgré leurs années d’expérience, empruntent toujours la même route et tombent toujours dans le même panneau : des touristes qui traversent un passage piéton, en avant, en arrière, à cloche-pied, sur les mains, en tirant la langue, en bombant le torse, en faisant mine de mouliner une guitare électrique… Ad libitum. Et le pendulaires britanniques continuent d’emprunter la même route ; et les touristes continuent de traverser la même route. Ad libitum.

Certains piétons font mine de se lancer, puis, voyant une voiture arriver et s’arrêter, ils restent plantés sur le trottoir avec un sourire un peu bêta, signifiant d’un geste timide de la main que l’automobiliste peut continuer sa route. Le chauffeur pose un temps, perd son flegme et s’en va un peu irrité, grognant une insulte d’habitude adressée aux arbitres de football de la Champions League.

Après avoir pris une soixantaine de clichés directement postés via facebook, le touriste se dit qu’il achèterait bien une tasse Let it be ou Yellow submarine pour la montrer aux collègues de bureau, lesquels auront déjà liké la photo de Mimi qui fait semblant de fumer un joint sur le bitume.

Pendant ce temps-là sur Abbey Road, on aime un peu moins les Beatles, et la radio locale suggère aux pendulaires de passer par Penny Lane.


(1) Il s’agit d’une spéculation d’Oncle Phil, ils n’ont peut-être pas dit ça comme ça.