La liste des ingrédients qu’ils n’ont pas le droit d’ingurgiter ou de toucher est longue. Quand on les invite à partager un repas, il faut se préparer à rédiger le catalogue des aliments qu’on ne pourra pas cuisiner ce jour-là, faute de quoi l’ami allergique risquerait d’enfler dans votre salon, de suinter des yeux et du nez sur votre canapé, ou encore de suffoquer si fort sur votre balcon qu’il réveillerait les voisins. Tout cela à cause d’un extrait de poudre de céleri dans une sauce tomate pourtant sans gluten.

A table, tout le monde se réjouit de déguster le petit plat que vous avez concocté avec soin, sauf l’autre là qui s’excuse en reposant sa fourchette vu la présence manifeste de crustacés entrés discrètement en contact avec les nouilles. Tout est contaminé ; impossible d’avaler quoi que ce soit, de crainte que votre convive ne doive s’injecter une dose de cheval d’un cocktail médicamenteux dans la cuisse gauche pour éviter de battre de l’aile. La gêne est palpable. L’allergique se contentera d’une salade sans condiments. Les autres invités tentent d’avaler discrètement leur plat pour ne pas trop faire saliver l’allergique, ostracisé au bout de la table.

« mais les oeufs… tu peux manger les oeufs? »

A la cantine, l’allergique remplit un formulaire complexe en prenant le soin de bien noter tous les agents pathogènes susceptibles de provoquer des éruptions cutanées ou autres convulsions qui pourraient pourrir l’ambiance du réfectoire. Les collègues de s’inquiéter : « mais les oeufs… tu peux manger les oeufs? » « Seulement s’ils ont été cuits dans l’eau bouillante durant au moins 10 minutes. » Rétorque l’allergique qui connaît le refrain par coeur. Puis, la conversation tourne autour des produits laitiers et autres farines qui créent toutes sortes de phénomènes surnaturels sur le spécimen allergique. On ne parle que de ça… Pendant tout le repas, on s’apitoie sur le sort de l’allergique : « c’est pas cool quand même… oh là là! et sinon tu dois directement aller à l’hôpital?! … ouais mais les oeufs, tu peux manger les oeufs? » Cela en devient presque agaçant. Surtout que l’allergique feint l’humilité : « Non, mais c’est pas grave, on s’habitue… J’ai toujours des biscuits adaptés à mon alimentation au cas où… Mangez! Mangez! Ne vous privez pas pour moi! »

Et on reprend l’inventaire des aliments qui persécutent le pauvre diable. La liste est longue. Elle se répète régulièrement. On l’entend partout, un peu comme le vagissement mièvre d’un nouveau tube de U2 qui est rabâché sur toutes les stations de radio et qui vous irrite chaque jour un peu plus. Chaque rengaine d’allergique qui s’ajoute à ma journée augmente le rythme de mes pulsations et provoque une soudaine apparition d’eczéma. Les complaintes du gluten me donnent sommeil, les lamentations oléagineuses me font éternuer, les incantations sans poisson me donnent la nausée… Rien que de relire mon texte, ça me donne de l’asthme.