L’autre jour, dans un bus de ma petite ville de Fribourg, j’écoutais d’une oreille étourdie la conversation de trois ados à côté de moi. Difficile de faire autrement, puisqu’ils contaient haut et fort leurs péripéties rebelles de l’école, se donnant ainsi en spectacle devant tous les passagers. La plupart des gens leur lancent des regards dépités ; je ne peux m’empêcher d’afficher un large sourire en écoutant leur dialogue, tant l’usage de certains mots ne colle pas à l’accent qu’ils s’efforcent d’imiter.
En effet, ces trois insoumis des temps modernes empruntaient visiblement le style de leurs idoles musicales, c’est-à-dire de rappeurs et autres acteurs bling-bling de la scène hip-hop. S’appropriant un ton cool et stylé des banlieues parisiennes malfamées, le trio d’ados trahit rapidement ses origines rupestres en étalant un vocabulaire typiquement suisse romand :
– Mec! Pourquoi tu viens pas à la piscine mec?!
– J’ai oublié mon calosse, mec! Fais chier!
– Mais j’t’en prête un.
– Non, j’en veux pas d’ton calosse de bouffon! En plus, j’ai trop rien pour l’porter mec!
– Mheeiiin… [borborygme traduisant le désaccord et le dédain] j’te file un cornet mec!
Aaaaah… ce bon vieux calosse! Il sert à désigner un costume de bain, tout comme le mot cornet s’utilise également pour parler d’un sac ou d’un sachet en plastique en Suisse romande. On a de la peine à imaginer Joey Starr porter son calosse, entouré de jeunes femmes pulpeuses, sirotant un verre dans un jacuzzi en chantant « la Fièvre » (oui, Oncle Phil est « old school, » il a de vieilles références pour le rap et il les assume). Même l’insurgé des supermarchés helvétiques – Stress – n’oserait pas s’exprimer en ces termes !
Derrière ce grand écart entre une rythmique résolument ghetto et un vocabulaire jonché de fribourgismes aux parfums champêtres, je me rends compte que le langage de ces jeunes gens contrecarre subtilement les inquiétudes des adeptes d’un purisme linguistique rigoureux. Si la mode et le langage évoluent — la langue serait même en déclin, selon les plus pessimistes —, ne resterait-il pas toujours un fond commun ? Il semblerait que les kaïras d’aujourd’hui ne s’expriment pas si différemment des blousons noirs d’hier, puisque malgré leur mise en scène d’influence française, les petits fribourgeois trimballent toujours un calosse dans un cornet pour aller à la piscine.
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