Au bout de 3 jours de débats intenses, les 14 linguistes suisses quittent la salle dépités. Alors que le symposium s’annonçait bon enfant, le Dr Calembert ne put s’empêcher de remarquer ce curieux écart entre les trois versions de la boite de biscuits « qualité suisse » qui trône sur une table lors de la pause-café (voir la photo ci-dessus). L’allemand indique « Dessert-Preussen », le français « Cœurs de France » et l’italien « biscotti Prussiani ». En somme, chaque version représente une petite manifestation de nationalisme faisant concorder la langue à un stéréotype un peu rétro, sauf pour les italophones dont de toute façon, les publicitaires se fichent pas mal des préoccupations identitaires.

D’ailleurs, lorsque les trois académiciens venus expressément de Lugano constatent la fadeur de la traduction italienne, assimilant leur langue à des pâtisseries teutonnes qui n’ont rien à voir avec le Tessin, ils décident de se retirer pour rédiger une lettre de réclamation au responsable du département « Swissness branding » de la plus grande enseigne de supermarchés helvétiques. Malheureusement, M. von Zizenmann est absent, mais la messagerie automatique de son e-mail promet aux trois académiciens qu’il lira leur message à son retour de vacances au bord du Lac Majeur dès le 17 août.

Les 14 linguistes restants sont perplexes. Ils débattent ; ils citent des auteurs très importants mais ne s’accordent pas sur la pertinence des références. Les psycholinguistes évoquent Freud et son amour pour la pâte à gâteau bien cuite faite par sa mère: ils sont déjà à la recherche d’un échantillon de 25 participants francophones, 25 germanophones et 25 bilingues franco-allemands pour effectuer un test en laboratoire et mesurer les réactions neuro-dermales des participants à l’aide d’outils très sophistiqués. Les sociolinguistes parlent d’imaginaire national et de l’hégémonie du marketing culinaire franco-français: ils souhaitent interroger les responsables concernant le choix de ces noms, participer à des séances de brainstorming marketing et documenter la façon dont le produit est mis en scène dans diverses succursales. Quant aux « linguistes tout court », ils prennent le PV car – en bons descriptivistes – ils souhaitent rester neutres.

Retour à la pause-café. Entrent une linguiste allemande et un français, arrivés en retard à cause du match France-Allemagne. « Ah ben non hein! En France on appelle ça des palmiers« , dit le linguiste français du haut de son accent parisien. « Nee, das sind Schweinsohren! » (Non, ce sont des « oreilles de cochon ») dixit la linguiste berlinoise d’un ton flegmatique. Sur ces remarques, les 14 linguistes suisses se retournent stupéfaits. Rien de bien national dans ces « palmiers » et ces « Schweinsohren »!

Ce sont donc une linguiste allemande et un linguiste français qui mirent fin à la querelle des biscuits en Suisse. Et il fut décidé que les messages seraient traités à la fin des vacances.


Pour aller plus loin ou pour reculer: https://de.wikipedia.org/wiki/Schweinsohr_(Geb%C3%A4ck)