Le bilinguisme à bicyclette | Des relations inter-ethniques fribourgeoises

Le printemps est là, me voilà fin prêt à dévaler les collines de Fribourg à bicyclette. En longeant les terrasses ensoleillés des bistrots de la ville sur mon fidèle destrier mécanique, un étudiant au visage florissant d’acné – une bière à la main – lance à ses camarades: « Nom te tcheu! R’garde! Encore un Bourbine en vélo! » Plus loin, mes amis francophones confirment mon allure alémanique en me hélant avec un accent suisse-allemand: « Hey! Sali Fipu! Tu fais lé félo? » Amusé par ces commentaires pittoresques, je me découvre alors une nouvelle identité: à vélo, je suis suisse-allemand.

Bisch du am früh Pensionierung?!

Le lendemain, je croise cette fois-ci des amis suisses-allemands. Étonnamment, ils ne manquent pas de se foutre de ma gueule non plus: « Wow Fipu! Bisch du am früh Pensionierung?! » (Wouah Philippe! T’as pris ta retraite anticipée?!) Ceux dont je croyais faire désormais partie pointent ma batterie électrique du doigt: le vélo avec une assistance motorisée, c’est pas pour les Alémaniques, c’est pour les paresseux de Welsch qui touchours rigolent! Et ça continue. Même mes collègues germanophones me font remarquer que c’est tellement plus facile de rouler avec un moteur et que ça ne me ferait pas de mal de muscler mes mollets atones de sociolinguiste.

Bourbine or not Bourbine?

Je ne sais plus qui je suis; je ne sais plus où aller. Bourbine or not Bourbine? Alors je finis par prendre l’apéro sur une terrasse avec des membres des deux ethnies. À 18h pile, tous les Alémaniques s’en vont pour prendre le souper. Je reste avec les francophones et commande un autre Aperol Spritz. « Non mais c’est pas vrai?! Tu te fous de not’ gueule Philippe?! Déjà le vélo, maintenant tu te mets à boire comme eux?! » Je range mes Blévita dans mon sac, de crainte de me voir à nouveau faire la rigole sur moi de mes camarades. Mon Spritz terminé, je recroise mes amis alémaniques. Je les salue d’un « gRRRRRRüezi »  aux « r » exagérément rocailleux pour tenter de couvrir le bruit de mon moteur électrique, mais ils ne sont pas dupes et fixent ma batterie électrique d’un air moqueur.

Dans le fond, le bilinguisme c’est un peu ça aussi: certains ne voient que le cadre du vélo, d’autres se concentrent uniquement sur le moteur électrique. On a de la peine à concevoir le tout. Le bilingue n’est que rarement « complètement bilingue » aux yeux des gens; il penche toujours un peu plus d’un côté ou d’un autre. Mais peut-être que tout cela n’a rien à voir avec la langue. Peut-être qu’il s’agit d’une question ethnique, voire tribale. Mmmmh… je devrais éviter d’utiliser ces termes en Suisse. Je vais faire un tour à vélo, histoire de puiser l’inspiration pour un autre billet de blog.

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2 Comments

  1. Yohan

    Excellent Philou! Mässi vielmau pour ce très bon billet 😉

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