Dans ce « Goulag », pas de prisonniers condamnés aux travaux forcés suite à un jugement arbitraire, mais des gens qui s’amusent, écoutent des concerts, dansent et boivent pas mal d’alcool. Ce festival branché a lieu chaque hiver à Fribourg et il va souffler sa cinquième bougie. Le public s’y rend parfois vaguement déguisé, une chapka sur la tête et des pin’s étoilés sur leur manteau. Le nom, c’est du second degré, il ne faut pas prendre ça au sérieux, comme le rapporte l’entretien de ce journaliste-blogueur avec le fondateur du festival.

D’ailleurs, aucune institution fribourgeoise n’a trouvé d’inconvénient dans ce nom qui rappelle encore la terreur pour de nombreux individus. A part l’intervention d’une conseillère générale qui a demandé de rebaptiser la manifestation l’année passée (comme le rappelle cet article sarcastique du journal local), peu de gens ont véritablement exprimé leur indignation. En plus de le tolérer, les institutions culturelles de la ville et du canton soutiennent ce « joyeux Goulag », à en croire les sponsors qui côtoient l’affiche. Un autre site internet – élaboré par les principaux acteurs économiques du canton – fait l’éloge du Goulag. Apparemment, pas de clients « ruskovs » à l’horizon pour eux! Dans mon entourage, on ne remarque déjà plus rien. L’événement est diffusé dans la plupart des agendas pour la cinquième année consécutive ; le nom a été accepté : le Goulag, ça ne choque plus personne. Ben oui, c’est du second degré.

Inutile de ressortir les livres d’histoire, ni même de survoler la page Wikipédia pour secouer des esprits en pleine léthargie ; le nom ne va pas changer, car ni les organisateurs, ni les institutions, ni les médias, ni les Fribourgeois n’y voient un mal. Ben oui, c’est du second degré.

Derrière ce nom, aucune démarche politique n’est soi-disant avancée. La manifestation propose essentiellement des concerts de rock et des stands de restauration, mais rien de bien russe ni de soviétique dans les parages, à part l’étalement immature de stéréotypes humiliants sur les Russes, le tout sous le nom de Goulag. Rien de politique? Du second degré?

Si le nom passe désormais inaperçu, c’est aussi grâce au public qui s’y rend chaque hiver et reproduit ingénument une attitude méprisante envers les populations concernées. Sous des travers cool et branchés, le Goulag festival exhibe une image cynique d’Occidentaux en quête de reconnaissance sociale, jouant avec des symboles qu’ils consomment sans comprendre. La réappropriation de ce passé-là n’appartient pas à une bande de hipsters qui ne saisissent rien de la terreur qui a hanté les citoyens soviétiques durant des décennies. C’est aux jeunesses d’ex-URSS et à leurs parents qu’il revient de décider où et quand ce sera du second degré!

Cher public, si vous avez prévu de vous rendre au Goulag, vous avez encore le droit de réfléchir et de vous informer. En commençant par lire Soljénitsyne, par exemple, ou en prenant simplement conscience qu’en allant à cette manifestation, vous commettez un acte. A vous de juger si cet acte vous paraît encore si anodin. Les organisateurs ne sont pas les seuls responsables ; ils ont besoin de vous pour exister et perpétrer le nom… qui tient du degré zéro de l’imagination.


A lire, d’Alexandre Soljénitsyne :

Une journée d’Ivan Denissovitch (très court)

L’archipel du Goulag (consistant)