Depuis des siècles, les ornithologues observent les oiseaux et s’interrogent sur leur mode de vie. Ils les décrivent, les comptent, leur passent une bague à la patte, les suivent à l’aide de radars et de satellites sophistiqués, documentent leurs mouvements migratoires et établissent des statistiques sur la base de ces données méticuleusement récoltées. Au printemps et en automne, tous ces oiseaux sont suivis attentivement par des hordes de scientifiques et de passionnés qui restent plantés le nez en l’air, un calepin et un appareil photo haut de gamme dans les mains pour admirer le ballet des volatiles. Sur la base de ces données chiffrées, on fait des cartes, on écrit des articles de journaux : on s’inquiète du faible nombre de bécasses à la croule et on s’interroge sur l’avenir du lagopède alpin. On recense, on fait des listes, on essaie de sensibiliser la population pour éviter que leur chat ne ramène quotidiennement des moineaux égorgés sur le paillasson de la famille Müller ou encore, pour inviter les gens à apposer des autocollants d’oiseaux sur leurs baies vitrées afin d’éviter qu’une hirondelle s’y étale de tout son printemps. Pourquoi donc ces oiseaux migrent-ils? Généralement, s’ils migrent, c’est pour trouver un climat habitable et moins hostile, un endroit moins aride où ils ne manqueront de rien durant quelques mois.
Bien sûr, l’homo touristicus travaille d’arrache-pied toute l’année pour mériter une hospitalité sans faille dix jours par an!
Depuis toujours, les êtres humains migrent pour diverses raisons : travail, amour, vacances, études, colonisation, découvertes de gisements de pétrole, guerre, exode rural, etc. Ils migrent seuls ou en groupe ; leur destin est parfois merveilleux, parfois tragique. Certains d’entre eux – comme l’homo touristicus – jouissent généralement d’un accueil chaleureux. Bien sûr, l’homo touristicus travaille d’arrache-pied toute l’année pour mériter une hospitalité sans faille dix jours par an! D’autres – comme l’homo fugit – ont moins de chance et se heurtent sans arrêt à des embûches. Où qu’ils aillent, on les soupçonne de tous les maux avant même qu’ils n’aient pu émettre un battement de paupières : vols, viol, paresse, profit, mensonge, trafic de drogue sont tant de tares qui les poursuivent. Quand il ne voyage pas dans des conditions déplorables, l’homo fugit se heurte à des barbelés, à des hommes armés, à des contrôles d’identité, à des violences physiques et verbales. Le reste du temps, il attend. Il attend.
Quel étrange et écœurant chassé-croisé.
Qu’il s’agisse de l’homo touristicus ou de l’homo fugit, nous essayons toujours de les décrire, de les compter, d’observer leurs mouvements, de les classer, de leur assigner un statut socio-politique, de comprendre pourquoi ils se dirigent vers le Nord ou vers le Sud. Quand l’homo touristicus se rend vers le Sud pour s’offrir un peu de détente, il profite de la connexion wi-fi de l’avion pour lire les commentaires et les notes attribués aux divers restaurants de la ville qu’il s’apprête à visiter, une canne à selfies dans les bagages. Quand l’homo fugit cherche désespérément un moyen de survir en se dirigeant vers le Nord, on lui explique qu’il n’y a pas de place pour lui et qu’il vaudrait mieux retourner d’où il vient. C’est vrai qu’il risquerait de ramener des maladies ou de voler du travail, car ça aussi il pourrait le voler. Quel étrange et écœurant chassé-croisé. Nous avons beau quantifier ces données, nous ne parvenons toujours pas à agir intelligemment.
L’automne approche. Les oiseaux migrateurs vont bientôt entamer leur périple vers le Sud. On pourra enfin se poser dans un champ, le nez en l’air, pour admirer le spectacle aérien des volatiles qui survolent librement les frontières. Ils vont et viennent chaque année, eux, et cela ne semble représenter de menace pour personne. L’espèce humaine a beau compter et documenter les siens de long en large, elle ne parvient toujours pas à imiter le splendide ballet des oiseaux migrateurs.
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