Dans mon paisible petit quartier, j’en ai compté trois. Trois quads, bruyants et encombrants, garés dans un rayon rectangulaire de trois pâtés de maison. Trois pâtés de maison. Trois pâtés de maison paisibles et sans histoire, cossus et bien dodus.

Pourquoi des quads? mais surtout pourquoi des quads en ville? à quad ça rime de tourner autour de trois pâtés de maison avec un engin destiné à étrenner des dunes de sable dans le désert ou à traverser des ruisseaux canadiens pour chasser des ours en voie de disparition? Pour vous resituer, le quad est une sorte de moto tout-terrain à quatre roues qui servait – à l’origine – de véhicule utilitaire très pratique pour se rendre dans des endroits difficiles d’accès avec des engins plus imposants, comme nous l’explique Wikipédia (1).

Un quad

Un quad sportif (par Stefan Krause, creative commons)

Pour l’instant, j’ai de la peine à justifier son usage dans mon paisible petit quartier, puisque les pilotes de quad que j’ai vus n’ont ni le profil du bûcheron québécois, ni le terrain qui exigerait l’emploi de cet engin. Alors pourquoi le quad? Pourquoi ne pas « pimper » (2) sa voiture avec un pot d’échappement en or et un aileron de formule 1, agrémenté d’une plaque minéralogique vert fluo où il serait gravé « fuck me I’m famous! » (intraduisible)? Pourquoi ne pas s’offrir un véritable deux-roues motorisé pour se brûler les genous sur un asphalte gorgé de soleil? Il me semble que pour la frime, il y a bien mieux qu’un quad comme « aspirateur à gonzesses ».

Après tant d’heures passées à méditer sur le quad, je crois avoir trouvé la réponse à ma source d’étonnement dans une analyse néo-freudienne postmoderne, voire carrément marc-lévyenne.

Durant leur enfance, les actuels conducteurs de quad ont été bercés dans un univers chevaleresque où le jeune prince charmant était destiné à conquérir le cœur et le corps d’une princesse à la plastique engageante. Afin d’accomplir son devoir, tout enfant masculin devait passer le cap du piéton (le « moi ») au vélo (le « presque ça »), franchissant une étape de virilitude nécessaire au développement des petits hommes. Pour franchir ce cap, il est indispensable de se débarrasser des deux petites roues qui servent dans un premier temps à stabiliser la course du gamin. C’est là que le jeune « quadeur » en devenir ne suit pas la règle et qu’il essuie un échec si cuisant qu’il n’arrivera plus à se libérer du joug de ses béquilles cyclodynamiques! Après un passage dans l’émission « Mon enfant n’est pas si différent, arrêtez de vous moquer de lui » sur M6, le jeune quadeur est condamné à rester au stade de piéton insignifiant durant la puberté, marginalisé à jamais dans la cour de récré.

Ayant atteint l’âge légal, le jeune quadeur épargne suffisamment d’argent pour pouvoir prendre une revanche sur son passé et s’offrir un engin ronronnant qui attirerait les minettes à la sortie du lycée. Empli de fougue, il n’est toutefois pas encore prêt à enfourcher un deux-roues pour accomplir son devoir. Alors, il se rabat sur un modèle quasi similaire, avec deux roues à l’arrière et deux à l’avant, pour ne pas perdre l’équilibre… et reprendre confiance en lui.

Ils tournent en rond, autour des trois pâtés de maisons anguleux, pour essayer un beau jour de sortir de la spirale infernale du quad.

Chaque jour dans le monde, 150 jeunes hommes s’achètent un quad (3). Et nous, nous ne faisons rien.


(1) le lien vers l’article de Wikipédia en qui j’ai vraiment pleine confiance car Wikipédia détient les clés de la vérité : cliquez ici

(2) lexique à l’usage des personnes qui ne connaissent ni MTV, ni Fast and Furious : « pimper » (prononcer /pim’pé/), du verbe anglais « to pimp », « décorer, rendre plus beau, plus attractif ». Ce mot provient du substantif « pimp », le maquereau.

(3) Source inconnue