A cheval sur l’autoroute, le centre commercial-station-service-motel-restaurant surplombe un flux intense de machines motorisées lancées à vive allure. De nombreux voyageurs profitent d’y faire une halte pour prendre un petit café et s’aventurer aux toilettes pour la classique « pause pipi » qui rythme leur périple. La masse des consommateurs est composée d’individus aux profils divers et variés : chauffeurs de poids-lourds polonais, familles nordiques au volant d’un camping-car, touristes du troisième âge en route pour les 37 plus beaux châteaux d’Autriche septentrionale avec un bus tout-confort de Mollard-Voyages, richissimes fils-à-papa bling-bling garant une Lamborghini pimpée par Dolce Gabbana, couple de trentenaires de retour d’un brunch bio du dimanche chez des amis multi-kultis adeptes d’achats « responsables »… ça va, ça vient. Le débit est élevé, constant.
Le complexe de l’aire d’autoroute A375 propose de tout. On vient y faire ses emplettes, parce que c’est sur le chemin en rentrant du boulot ou bien parce que c’est dimanche et que tous les magasins sont fermés alors c’est bien pratique quand même hein. En plus des pompes à essence, on y abrite un café-restaurant aux prix exorbitants, des toilettes payantes ou gratuites (à vous de choisir), un revendeur d’électro-ménagers, des grands magasins et parfois même… un sex-shop. En effet, quoi de mieux qu’un endroit éloigné de la maison et dont les visiteurs changent continuellement de visage pour aller s’offrir un string léopard auto-chauffant en toute discrétion?
En ces lieux si fréquentés, on peut jouir d’une forme d’anonymat. De crainte qu’on ne les dévisage dans leur quartier, les consommateurs de fantasmes sexuels prennent désormais leur voiture pour aller faire le plein de porno au sex-shop autoroutier ou honorer un rendez-vous coquin dans le spartiate motel gisant de l’autre côté du parking.
Je me souviens de la vitrine opaque de la boutique Exodus non loin de chez moi, jadis. Rien n’y transparaissait, pas même un semblant de téton émoustillé. Avec l’arrivée d’internet et de grossistes du porno, ces boutiques érotiques ont disparu des rues habitées. Au même titre que l’épicerie du coin, les petits marchands d’érotisme se font écraser par de grandes enseignes pornographiques, dressées au beau milieu de grandes zones commerciales éloignées des centres urbains. On s’aventure désormais moins facilement dans une boutique de ce genre au centre-ville, même si on souhaite acheter un cadeau-prétexte pour célébrer les 18 ans d’un ami qui – devenant adulte – a enfin accès à un marché qu’il connaît probablement mieux que ses aînés grâce à internet.
L’autoroute ou internet, c’est le choix qui se présente aujourd’hui aux consommateurs de fantasmes sexuels. Dans les deux cas, il est préférable de profiter du haut débit. Il a le mérite de nous plonger dans l’anonymat sur l’autoroute ou de nous fournir un accès ultra rapide sur internet. Sur l’autoroute, le consommateur craint toujours qu’un smartphone mal intentionné le poursuive dans sa quête libidineuse ; sur internet, ce sont des données obsessionnelles chiffrées qui se balladent quelque part, dans l’attente de peut-être ressurgir un beau jour de dépannage informatique ou dans une affaire plus ou moins délictueuse.
C’est ça, la magie du haut débit. Vous croyez tout voir, mais c’est lui qui vous observe.
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