24 mars 1999. L’OTAN commence son « opération force alliée » et bombarde la Yougoslavie de l’époque, c’est-à-dire la Serbie et le Kosovo d’aujourd’hui. Toutes les télévisions du monde étaient braquées sur ce qui ressemblait à une inauguration pour la paix, sauf qu’à la place de briser une bouteille sur un bâtiment de l’ONU, l’OTAN semait des magnums explosifs sur des casernes, mais aussi sur les médias locaux, les ponts, quelques hôpitaux et même l’ambassade de Chine (« oups! Sorry Mr Tching Tchong! »). Au sol, les gens sont bien trop éloignés des caméras aériennes pour apparaître à l’écran. Une partie de ma famille reste ainsi invisible, comme le restant de la population. On ne voit que des bâtiments flous voler en éclat sur des images qui ressemblent à des radiographies vertes.
J’avais 13 ans. Je me souviens du défilé de commandeurs américains et occidentaux se pavanant sur une tribune au fond bleu, fiers d’arborer des rangées de pin’s multicolores sur leur poitrine. Ils parlaient de la paix, de la nécessité de terrasser le régime de Milošević, c’est-à-dire de larguer des bombes pour garantir la paix. « Tout ça c’est de leur faute à ces sales Serbes! Ils l’ont bien mérité! » On pourrait ensuite l’envoyer croupir au Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), là où seuls les sauvages Balkaniques sont jugés… encore faut-il se décider à tous les juger! Pour faire la paix, il faut aussi faire la justice, car les Yougos ne savent pas s’arranger entre eux comme des gens civilisés. Alors l’OTAN vient montrer l’exemple; l’ONU observe sans dire un mot.
Voilà ce que j’entendais à longueur de journée: des bombes pour la paix. Même à l’école, un enseignant bien intentionné s’est mis dans la tête que ça ferait un super sujet pour la classe. Il savait pourtant qu’il y avait un ou deux Yougos sur les bancs. Il semblait fasciné par cet élan pour la paix, par cette opération qui visait uniquement les méchants, mais pas la population miniature qui n’apparaissait pas à l’écran. En marge des caméras, il y avait les coupures de courant et de gaz, le manque de carburant et de vivres, puis un curieux embargo sur les médicaments. Tout cela n’arrangeait pas la situation des gens restés au sol. Alors j’avais essayé de lui expliquer ça, à cet enseignant, mais la violence était un mal nécessaire pour la paix, me répondit-il. Le discours des colons était partout, même dans cette petite salle de classe en Suisse. Progressivement, le sujet ne faisait plus les unes des journaux et passait dans les faits divers. Je continuai de suivre la situation de près pendant les 78 jours de terreur qui ont suivi.
Je me suis rendu à Belgrade (Serbie) il y a deux ou trois semaines. Les traces de la paix sont encore là; l’uranium appauvri qui était présent dans les bombes continue de tuer en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo et en Serbie. C’est l’un des effets indésirables inscrits sur le mode d’emploi destiné aux pilotes des bombardiers. « Sorry Mr Goyoslav! » Un dommage collatéral à retardement qui laisse des traces dans les corps et les esprits. Il n’y a malheureusement pas de tribunal pour les gens qui abusent de la paix.
Sur les murs de Belgrade, certains graffitis rappellent les bombardements. Ils évoquent rarement la paix, mais plutôt la souffrance et parfois la vengeance. Le message n’est pas tout-à-fait passé, faute de traduction probablement. Alors moi, les militaires qui viennent me parler de paix, je m’en méfie. Si je les croise, je leur prierai de bien vouloir lire la notice d’emballage des missiles avant de continuer à diffuser la paix plus loin. « Sorry Mr Kebab! That’s the side effects of peace! »
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